[Société] Penser la santé mentale à l’ère numérique était un des thèmes centraux abordé lors d’un colloque organisé le 14 octobre au centre départemental Joséphine Baker à Périgueux.
Le sujet occupe l’actualité et, parfois, nos discussions du quotidien. Des restrictions d’usage des portables ont émergé dans les collèges publics à la rentrée. Le Danemark veut même interdire les réseaux sociaux aux moins de 15 ans et prône un retour du livre dans les salles de classe ! Le rapport entre écrans et santé mentale était au centre de débats lors d’un colloque organisé par le GCS (Groupement de coopération sanitaire) santé mentale, le 14 octobre au centre départemental Joséphine Baker à Périgueux. 300 chercheurs, professionnels de santé, acteurs sociaux et même des personnes du grand public ont participé à l’événement. » Ce thème nous est très vite apparu comme complexe, sujet à de multiples approches et porteur de nombreuses contradictions « , a révélé Hervé Laulhau, président du GCS (Groupement de coopération sanitaire) santé mentale.
Jocelyn Lachance, socio-anthropologue à l’université de Pau, a partagé le fruit de ses recherches pour tenter d’y voir plus clair.
Se mettre en scène
Au-delà de tout manichéisme, le chercheur a étudié l’attachement des jeunes aux réseaux sociaux. » On sait qu’il y a des effets délétères mais aussi des effets très positifs « , affirme-t-il. Qu’est-ce qui se joue lorsque les jeunes retournent une énième fois sur les réseaux sociaux ? » La première fois que j’ai pris un selfie en public, j’ai pris un risque ! J’ai montré à mes copains à quel point j’avais de la valeur « , a raconté une jeune fille au chercheur. Les jeunes deviennent adultes et autonomes par l’expérimentation, un mot-clé théorisé avant même l’apparition des réseaux sociaux. Ils doivent s’afficher pour exister et se mettre en scène dans le monde de l’expérimentation, assujettis au regard des autres. Les réseaux sociaux deviennent alors un outil d’affirmation de soi, voire de mise en scène d’une autre version de soi-même.
C’est aussi une manière de conjurer le stress et l’angoisse dans un contexte anxiogène. Les jeunes ont le sentiment de devoir se débrouiller seuls et de ne pas être à la hauteur des enjeux. ChatGPT est de plus en plus consulté par les adolescents pour parler de sujets difficiles comme la mort, le suicide et la sexualité. » L’IA, c’est bien pour se reposer et arrêter d’avoir peur de tout et de rien « , a expliqué une jeune fille de 17 ans au chercheur. » La consommation de contenu vide et abrutissant est inversement proportionnelle au sentiment de pression qui pèse sur les épaules des individus… et ça concerne aussi les adultes. » De l’amplification des angoisses à la production de réponses à celles-ci, la consommation de réseaux sociaux balance.
L’interdiction
» Le besoin d’être rassuré est l’ami premier de l’attachement aux réseaux sociaux. Dans un monde d’incertitude, quand il n’y a pas d’espace possible pour se sentir valorisé, les réseaux sociaux sont investis pour répondre à des questions fondamentales « , affirme Jocelyn Lachance. Cette analyse renvoie les adultes à une forme d’insuffisance de leur part. » La tentation d’éloigner les réseaux sociaux est peut-être liée à la difficulté collective que nous avons à nous poser les vraies questions car il est plus confortable de dire que les problèmes sont l’adolescent et le dispositif « , a théorisé le chercheur.
L’interdiction pose la question de ce qu’on offre en échange. » Les jeunes ont besoin d’un espace d’autonomie pour réguler leur devenir d’adulte et leurs incertitudes. Cela fait aussi partie du développement et de la santé mentale. «